Journal Le Monde daté 19-09-2006

La France, prête à l'interdiction du tabac ?
LE MONDE | 18.09.06 | 13h17 • Mis à jour le 18.09.06 | 16h26


Sur la porte d'entrée, l'affiche est explicite : "Depuis le 1er juillet, La Coupole est non-fumeurs." La célèbre brasserie parisienne a devancé l'évolution de la loi. Ou fait du zèle, comme le lui reprochent certains (rares) clients mécontents qui, du coup, traversent le boulevard pour en griller une juste en face, au Select, établissement qui réserve encore la majeure partie de son espace aux fumeurs...



Il y a quelques années, La Coupole offrait seulement quatre rangs (au fond de son immense salle) aux non-fumeurs. "Petit à petit, cette zone s'est étendue. Aujourd'hui, deux mois après le début de notre opération, l'expérience est positive. Les clients mécontents sont rares", souligne Jean-Marie Riberpray, directeur d'exploitation, qui a tout de même laissé un petit espace aux accros de la nicotine : "L'espace bar est encore fumeurs. De temps en temps, un client vient y fumer en prenant son café..."

Précurseurs, les responsables de La Coupole ? L'air du temps n'est pas favorable aux 12,7 millions de fumeurs en France. Et les exemples des voisins européens qui, ces derniers mois, ont adopté des textes de loi limitant de manière plus ou moins stricte les lieux publics aux fumeurs confirment cette tendance.

Le cas de l'Irlande, pays historiquement très enfumé et devenu "tobacco free" depuis l'application, en mars 2004, d'une législation antitabac très stricte, a marqué les esprits. La Norvège, l'autre pays européen à avoir adopté une législation interdisant tous les lieux publics aux fumeurs, a trouvé une jolie formule pour attirer les touristes : "Bienvenue dans un pays où le seul produit que l'on fume, c'est le saumon." Les politiques antitabac menées en Italie, en Suède, en Espagne et au Danemark, plus souples, autorisent sous certaines conditions la création de fumoirs. L'Allemagne et l'Autriche font, pour l'instant, de la résistance.

A la pointe du combat au début des années 1990 avec l'adoption de la loi Evin, la France a, depuis, perdu du terrain. La guerre contre le tabac lancée par Jacques Chirac dans le cadre de son plan de lutte contre le cancer n'a pas été suivie d'effets immédiats. Mais la mission parlementaire chargée d'évaluer l'impact d'une interdiction totale du tabac dans les lieux publics vient de se prononcer pour une loi en ce sens (Le Monde du 13 septembre).


PAS DE RÉVOLUTION


Les buralistes et certains restaurateurs militent pour la préservation d'espaces réservés aux fumeurs. "Notre fumoir, situé à l'étage, est un lieu isolé des deux autres salles. Nos clients aiment venir y boire un bon alcool, fumer un bon cigare. Si c'est nécessaire, nous effectuerons les aménagements nécessaires en matière de ventilation. Mais j'espère que la loi autorisera encore des lieux comme celui-là", déclare Fabien Held, responsable du très chic China Club à Paris.

Pourtant, les fumeurs sont de plus en plus nombreux (56 % selon un récent sondage) à accepter l'idée de ne plus pouvoir allumer une cigarette dans un lieu public. Lorsque Xavier Bertrand, ministre de la santé, annonce, en août, son souhait de voir dès janvier 2007 les fumeurs bannis des lieux publics, cela ne provoque pas de révolution. "La France va s'y mettre, comme la plupart de ses voisins. Rappelez-vous qu'il y a encore quelques années, on fumait partout, dans les avions, les trains, même les hôpitaux !", souligne Patrick Malvaës, président du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs.

Il ajoute : "Je suis pour l'interdiction totale car installer des zones fumeurs en discothèque me paraît absurde. En revanche, nous avons besoin de temps. Les jeunes qui sortent en boîte sont très sensibles aux campagnes de prévention, on l'a vu concernant le sida ou l'alcool. Ne pas appliquer brutalement la loi antitabac en discothèque et nous laisser quelques mois pour leur expliquer le bien-fondé de cette interdiction me paraît souhaitable..."

La France non-fumeurs de 2007 suivra-t-elle la tendance "dure", à l'irlandaise ? L'annonce d'éventuels aménagements concernant les bars-tabacs, discothèques et casinos permet d'en douter. "Cinq mille personnes meurent chaque année de tabagisme passif. Et de tous les métiers, celui de croupier est l'un des plus exposés. Ne pas interdire de fumer dans les casinos serait incompréhensible !", souligne un employé d'un établissement de jeu situé en Bretagne. Une étude réalisée en 2004 établissait à 63 ans l'espérance de vie des croupiers alors que la moyenne nationale avoisine les 80 ans. Le syndicat FO-Casinos et l'association Droit des non-fumeurs préparent des actions en justice pour non-respect de la législation antitabac du code du travail.

"Il y a encore quelques années, on voyait dans le hall des malades tenant le déambulateur d'une main et une cigarette de l'autre ! A certains endroits, le couloir de l'hôpital était noyé dans la fumée. Aujourd'hui, il n'y a plus de mégot dans le coin", rappelle un médecin de l'hôpital Saint-Antoine à Paris dont les murs sont tapissés d'affiches "Hôpital sans tabac". Pour les casinos, restaurants et autres lieux publics, le compte à rebours a débuté.



Alain Constant



David ROUSSET